Mort à Crédit

Un aller-retour dans les oubliettes du théâtre privé à Paris, je savais que je n’y trouverai pas ma place. J’ai tenu pourtant à continuer l’accompagnement d’Eric Sanson pour son adaptation de « Mort à Crédit » de Céline créé à Bordeaux dans son Petit Théâtre l’hiver dernier…

Sentiment de malaise. Ici les mots sont jetés en fonction de l’indice immobilier du prix au mètre carré et des hypothèses tendues pour une fréquentation massive des lieux. Un Théâtre ? Non un de ces mouchoirs de poche humide dans lequel s’essuie une réputation pré fabriquée par une histoire dont on ne sait d’où elle est tirée. Face à Beaubourg, l’adresse en serait presque prestigieuse. Le Marais où s’enlisent les marchands du Temple, la rue n’y est pas loin. Pourtant…

Eric doit débourser 200 euros par soir de représentation jusqu’en décembre en jouant du jeudi au dimanche ; soit « assurer » la présence d’au moins dix spectateurs payants sur les 40 chaises Ikéa posées contre la vieille moquette qui fait office de scène, afin de rembourser sa mise. Marron, la moquette, et pas question de contrarier ce choix contre-nature stimulé par la remise conséquente et probable d’un magasin de saisie des douanes… D’ailleurs ici il n’est pas question de toucher à quoi que ce soit, les lieux doivent rester dans l’état dans lequel on aurait aimé les trouver en entrant. Pas question de planter autre chose que l’affirmation de son verbe. Le halo des quatre projecteurs interdit tout plan de feu y compris les noirs rendus impossibles à cause des rectangles verdâtres des issues de secours, placés judicieusement dans chaque axe de vision… Ici, ça cague en file indienne et à heures fixes. Débarrasser le plancher (qui n’existe donc pas), sitôt la représentation terminée. Pousse toi de là Ferdinand, hors d’ici Céline, que je vienne chier ma « comédie pop et acidulée » ! C’est ainsi que s’annonce le spectacle qui suit, je n’invente rien.

On aura bien compris qu’ici, le théâtre se nourrit de sa très large acceptation, de son entendement le plus ouvert, et où le ticket doit être débité au mètre. Alors oui Céline et le bonbon pop acidulé font bon ménage : forcé. Guignol’s band !

Eric savait tout ça, mais soustraire son plaisir du jeu au tarif de l’attachée de presse, aux devis de l’imprimeur, à cette location indexée à l’angoisse de la salle vide, à sa chambre payée à quelque ordre religieux du quartier latin, était finalement un calcul injurieux et qui n’avait pas lieu d’être.

Eric n’a fait qu’un choix, un seul. Depuis le début, en affirmant sa condition de précaire, refusant tous les statuts, de l’intermittence au chômage, afin de ne privilégier que sa liberté de lanceur de mots des autres. Eric a choisi a dessein de s’offrir le luxe de sa précarité pour jouir du sens de son artisanat. En louant et habitant son théâtre à Bordeaux d’abord, sans aucune subvention, et vivotant des maigres recettes des soirs de spectacle. En jouant à Paris ensuite, et s’offrant à crédit cette mort programmée de l’acteur qui chaque soir y laisse fantastiquement un peu plus sa peau. Cette « Mort à Crédit » dont finalement le ressort dramatique sera plus tendu qu’il n’y paraît.

Une partie de ma mise en scène sera donc restée à Bordeaux. Une partie de moi, troublée et peut-être envieuse sera venue accompagner ce voyage au bout de la nuit, ce casse-pipe .

A propos renaudcojo

autobiographe pointilliste
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